Zénon
Les quatre Écoles nationales vétérinaires (ENV) de notre beau pays ont entamé une évolution qui, pour beaucoup d’entre nous, s’est essentiellement traduite, jusqu’ici, par un changement de nom ou d’intitulé d’adresse postale. Deux d’entre elles, Nantes et Lyon, ont fusionné avec une École d’ingénieurs plus ou moins proche (aussi bien géographiquement que thématiquement)* ; Toulouse s’est associée à l’université Paul Sabatier, Alfort va bientôt faire de même avec l’université Paris Est Créteil.
Par ailleurs, beaucoup d’interrogations persistent sur le mode de sélection des étudiantes et des étudiants. Cette sélection fait l’objet de façon récurrente de critiques qui, depuis quelques années, se focalisent sur une insuffisance des vocations vétérinaires à l’exercice en milieu rural.
• Jusqu’ici les solutions proposées ne semblent pas s’appuyer sur des analyses rigoureuses (démographie professionnelle, appréciation des besoins propres à ce milieu, …) et on assiste, un peu inquiet, au lancement d’opérations qui sont le plus souvent inspirées par des préoccupations tout à fait étrangères au cœur du sujet (valorisation d’un établissement d’enseignement privé à Beauvais, compensation de la suppression de la base aérienne de Metz, …).
Des réalisations et des résultats concrets
• Avant de dénoncer les limites d’un système, il convient de tenter d’en évaluer les réalisations et les résultats, de préférence sur le long terme, ce qui permet d’échapper aux effets de mode aussi puissants qu’éphémères.
• Ainsi, les ENV peuvent regarder sans rougir leurs résultats y compris au cours de ces dernières années. Depuis 50 ans, elles ont permis à la profession vétérinaire de sans cesse élargir son spectre d’action, initialement limité à la médecine et à la chirurgie du cheval (surtout de trait) et à l’obstétrique bovine. C’est ainsi que les ruminants domestiques, les élevages de volailles et de porcs, le chien puis le chat, le cheval de sport et de loisir, sont venus réellement s’intégrer aux activités d’une profession qui, en même temps, a su investir les zoos et les réserves, les laboratoires d’analyses et de recherche, les firmes pharmaceutiques et alimentaires et tant d’autres secteurs qu’on ne peut citer sans tomber dans un inventaire à la Prévert.
De bons professionnels sans chômeurs …
• Cette performance a été assurée avec des moyens toujours chichement comptés par une tutelle peu intéressée par un secteur considéré comme marginal, au regard de celui de l’enseignement technique (politiquement sensible, compte tenu du poids de la France rurale et de ses émanations syndicales et territoriales) et de l’enseignement agronomique (grand pourvoyeur de technocrates au ministère de l’Agriculture).
• Pourtant les ENV ont continué vaillamment à produire des diplômés, non pas parfaits – aucun système de formation, fût-il très supérieur, ne le peut – mais employables, adaptables, en un mot des professionnels sans chômeurs, capables de rendre les services et de prendre les responsabilités qu’attendent d’eux (d’elles) la collectivité nationale à laquelle ils (elles) ont rendu, très largement, par leurs impôts et les emplois créés, ce qu’elle leur avait donné.
… appréciés partout dans le monde
• Bien entendu, le tableau comporte des ombres, des ratés sur lesquels on s’appesantit beaucoup depuis quelques années. Il faut néanmoins pour le compléter souligner que les étudiants issus des ENV sont admis et appréciés dans tous les pays où ils vont se spécialiser ou s’établir, qu’ils sont recherchés dans les autres établissements d’enseignement supérieur et/ou de recherche, aussi bien en France qu’en Europe et un peu partout dans le monde.
• Cette réussite, osons le mot, repose sur une triade : un concours sélectif, une formation largement ouverte aux différents métiers d’une profession très diversifiée, l’acquisition d’une forte culture scientifique en biologie et en médecine (sensu lato).
Cette triade garantit à la fois l’adéquation au présent et l’adaptation aux nécessaires évolutions.
Deux critiques majeures
• Deux critiques majeures subsistent : la première porte sur le trop faible nombre de vétérinaires formés, la deuxième est liée au mode de recrutement.
• Sans entrer dans une longue analyse, on peut aisément remarquer que l’ouverture de la 4e ENV en France, celle de Nantes, date de 1978, et que la constatation d’un nombre insuffisant de vétérinaires s’est faite plus aiguë depuis que les autorités belges ont sérieusement freiné l’admission d’étudiants français à la faculté de Liège. Celle-ci a, trop longtemps, joué le rôle d’une 5e ENV qui ne coûtait rien à l’État français, même si elle était loin d’être gratuite pour ses ressortissants étudiants.
Pendant ce temps, en Grande-Bretagne une 7e faculté vétérinaire a été ouverte il y a 5 ans, alors que ce pays a des populations d’animaux domestiques significativement inférieures à celles de l’hexagone (sauf pour les ovins) et que les vétérinaires y interviennent beaucoup moins dans le secteur de l’agro-alimentaire.
• La deuxième critique concerne le recrutement qui serait “trop” et “mal sélectif”.
Le concours principal (A) est et reste sélectif. L’est-il trop ? Certains le pensent sans oser l’écrire, en affichant un mépris d’un autre âge pour une profession “qui n’en aurait pas besoin”.
• D’autres y voient la cause principale de la désertion du milieu rural, sans s’interroger sur le mode d’exercice des candidats issus des autres concours, notamment celui ouvert plus spécifiquement aux diplômés de l’enseignement agricole. Par ailleurs, ce concours (A) longtemps unique a fait des ENV, notamment à partir des années 60, un lieu où l’ascenseur social fonctionnait.
S’il est grippé depuis la fin des années 90, les ENV n’y ont pas une plus grande part que certaines Grandes Écoles au profil encore plus sélectif, y compris au travers de droits d’inscription particulièrement élevés. À cet égard, la tendance est préoccupante puisque, depuis 2 ans, les frais de scolarité annuels sont passés de 1200 à 2000 €.
Au total, les ENV sont à un tournant de leur histoire ; les contraintes subies, qui ne peuvent que s’accentuer dans le domaine du service public de l’enseignement supérieur, justifient une réflexion approfondie. Celle-ci sera d’autant plus productive et efficace qu’elle saura identifier les forces des ENV et dégager des options stratégiques dignes du passé, mais aussi et surtout cohérentes et réalistes vis-à-vis de l’évolution de la société. Aucun “comité Théodule” n’y parviendra quelles que soient ses motivations ou son origine.
En cette année du 250e anniversaire de la première École Vétérinaire issue du Siècle des Lumières, il serait peut être temps de penser à de véritables États Généraux pour retrouver une vision mobilisatrice largement ouverte au monde, pourquoi pas dans le cadre de la francophonie.
NOTE
* – ONIRIS (École nationale vétérinaire, agro-alimentaire et de l’alimentation, Nantes-Atlantique) :
créée le 24 décembre 2009, issue de la fusion entre l’ENV de Nantes et l’ex-ENITIAA (École nationale d’ingénieurs des techniques des industries agricoles et alimentaires).
– VetAgro-Sup (Institut d’enseignement supérieur et de recherche en alimentation, santé animale, sciences agronomiques et de l’environnement) :
créé le 1er janvier 2010, issu de la fusion entre l’ENV de Lyon et l’ex-ENITA de Clermont-Ferrand (École nationale d’ingénieurs des travaux agricoles de Clermont-Ferrand).
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