Retour
Ophtalmo

ophtalmologie


LES ULCÈRES CORNÉENS
les règles d’or du traitement


David Maggs a présenté avec beaucoup de brio et quelques pointes d’humour, une conduite à tenir devant un ulcère cornéen particulièrement didactique.
Si le diagnostic d’ulcère pose peu
de difficulté au praticien,
il est plus délicat d’en déterminer
la cause lorsqu’on n’envisage pas seulement l’hypothèse traumatique
(qui doit rester un diagnostic d’exclusion).
L’autre point essentiel est de bien différencier ulcère simple et compliqué.
Concernant les modalités de suivi,
une visite à 7 jours s’impose
et si à ce stade l’ulcère n’est pas guéri, il doit dès lors être considéré
comme compliqué et il convient
de le traiter comme tel.
La démarche pratique résumée
par cinq règles d’or paraît intéressante et a le mérite de bien fixer les idées, même si certains points sont discutables (par exemple ne pas mettre
de collerette) ou peuvent se heurter
à des difficultés pratiques
(instiller un collyre antibiotique
toutes les heures quand on n’a pas d’étudiant sous la main peut poser problème comme l’a fait remarquer
le conférencier !).
L’utilisation d’autosérum
est une option thérapeutique
peu connue mais qui peut être bénéfique dans les ulcères compliqués.

Conférence présentée
par David Maggs,
Professeur d’ophtalmologie
à l’Université de Davis, Californie (USA),
auteur d’un ouvrage de référence,
Slatter's Fundamentals of Veterinary Ophthalmology.

7e congrès mondial d'Auckland, Nouvelle-Zélande
(2013)








Synthèse par Colette Arpaillange



Le traitement de base (antibiotique / atropine / AINS par voie générale, …) ne sert qu’à soulager l’animal. Un ulcère simple cicatriserait même sans traitement médical !
Trouver la cause est une priorité car lorsque celle-ci persiste, l’ulcère se répare, puis se reforme en continu.
Quand on ne traite pas la cause l’ulcère ne peut pas guérir.
Règle n°1 : diagnostiquer et traiter la cause primaire
En présence d’un ulcère cornéen, il est fondamental d’essayer d’en déterminer la cause. Celles-ci se classent en deux catégories : les défauts de protection et les atteintes mécaniques de l’épithélium.
1. Les défauts de protection
- déficit lacrymal : faire un test de Schirmer ;
- déficit de fermeture des paupières : apprécier l'ouverture palpébrale, le réflexe palpébral donne une indication mais il peut être faussé : il suffit de demander au propriétaire de vérifier si le chien ferme les paupières quand il dort (figure 1).
2. Les atteintes mécaniques de l’épithélium
- causes endogènes ;
- causes exogènes (figure 1) ;
Règle n°2 : l’hypothèse traumatique est un diagnostic d'exclusion
Bien que les traumatismes soient une cause fréquente d’ulcère, il en existe bien d'autres ! Le traumatisme reste un diagnostic d’exclusion.
Règle n°3 : un ulcère n’est pas primitivement infectieux
À l’exception du virus de l’herpès chez le chat, les agents infectieux ne sont pas primitivement à l’origine d’ulcères. En revanche, l’ulcère peut secondairement se surinfecter.
Règle n°4 : l’épithélium cornéen cicatrise en 7 jours
La cicatrisation des traumatismes mineurs est encore plus rapide : une fine couche de cellules apparaît en quelques minutes ;
- le stroma met des semaines et des mois à se réparer ;
- l’endothélium ne cicatrise jamais ;
- un ulcère qui n'est pas cicatrisé en 7 j est un ulcère compliqué.
Aussi, le 1er contrôle clinique doit intervenir une semaine après le diagnostic initial.
Règle n°5 : faire la distinction entre ulcère banal et ulcère compliqué
Un ulcère simple est présent depuis moins de 7 jours et est superficiel (ne concerne que l’épithélium).
Un ulcère compliqué est présent depuis plus de 7 j et/ou profond (concerne le stroma).
Si l'ulcère n'est pas cicatrisé en 7 j, le considérer comme compliqué.

Figure

Dans ce cas, c’est le diagnostic qui doit changer , mais pas le traitement.
Voici les raisons pour lesquelles un ulcère ne cicatrise pas en 7 j
Chez le chien : trois raisons :
1. La cause primitive persiste (par exemple cil ectopique). Dans ce cas, l’aspect est le même.
2. Il est devenu secondairement infecté. Les ulcères bactériens ont un aspect particulier. Les organismes Gram- provoquent une atteinte sévère du stroma à cause des collagénases, ce qui s’accompagne d’un enduit verdâtre. Dés que l’épithélium est abimé, les bactéries, y compris saprophytes, peuvent aggraver rapidement l’ulcère.
Un ulcère surinfecté est un ulcère profond, d’aspect gélatineux (“malacie”), prenant une teinte verdâtre ou jaunâtre.
Sur ce type d’ulcère, il est recommandé de faire un examen cytologique et une mise en culture (aérobies)
3. Il est atone “chronic superficial non healing ulcere”. L’ulcère atone n'est pas une affection réservée aux Boxers. La fluorescéine forme un halo et les bords se débrident facilement car la couche épithéliale n’est pas adhérente.
Chez le chat : deux raisons seulement car il n’existe pas d’ulcère atone.
1. La cause primitive est toujours présente.
2. Il est devenu secondairement infecté.
Quand un ulcère ne cicatrise pas en 7 jours, chercher la cause !

Conduite à tenir thérapeutique - Comment traiter un ulcère cornéen

Le traitement des ulcères simples
- Traiter la cause ;
- appliquer des antibiotiques locaux deux à trois fois par jour (les antibiotiques systémiques étant inutiles en général) ;
- utiliser de l’atropine jusqu'à effet, le plus souvent une seule fois, sans en abuser car elle réduit la production lacrymale ;
- proscrire les corticoïdes ;
- inutile de mettre en place une collerette : la prévention des traumatismes auto-infligés est rarement nécessaire lors d’ulcère simple (en tous cas, pas chez le chat et pas systématiquement chez le chien : il suffit de demander au propriétaire de surveiller et d’adapter la protection au comportement de l’animal) (cf. notre commentaire) ;
- contrôler obligatoirement à J7.
Le traitement des ulcères surinfectés
- Traiter la cause et l’infection secondaire ;
- instiller des antibiotiques locaux deux à trois fois par jour une fois par heure (cf. notre commentaire) ;
- envisager des antibiotiques par voie systémique si la cornée présente une vascularisation ou est rompue ;
- utiliser de l’atropine, deux fois par jour, puis espacer pour traiter l’uvéite réflexe ;
- proscrire les corticoïdes ;
- la prévention des traumatismes auto-infligés est obligatoire ;
- contrôle entre J1 et J3 ;
- envisager l’utilisation d’auto-sérum ou la greffe.
Quel antibiotique choisir pour traiter un ulcère surinfecté ?
- L’antibiotique est choisi en fonction des résultats de la cytologie et de l’antibiogramme ;
- antibiotique local à large spectre bactéricide (tobramycine, amikacine, gentamicine, fluoroquinolones) ;
- 1 goutte toutes les 5 mn pendant 1/2h à 1h puis 1 goutte toutes les 1 à 2 h ;
- éviter les pommades (cf. notre commentaire).
Utilisation de sérum (autologue ou hétérologue)
Le traitement des ulcères profonds fait appel à des produits ayant une action anti-collagénase (comme l’acétyl-cystéine). Le conférencier a évoqué l’utilisation de sérums qui outre cet effet, ont des propriétés bénéfiques à la cicatrisation car ils contiennent des facteurs de croissance.
Un échantillon de sang est prélevé sur tube sec, le sérum est recueilli et transféré dans un flacon compte goutte stérile à usage ophtalmique. Le sérum peut être stocké au réfrigérateur et remplacé tous les 2 ou 3 jours (attention aux contaminations !).
Le sérum est ensuite utilisé à la même fréquence que l’antibiotique (jusqu’à 8 fois par jour).
Quels traitements chirurgicaux lors d’ulcère stromal, rapidement progressif,
ou présentant des zones oedémateuses ou ramollies (malacie) ?

Le recouvrement par la membrane nictitante n’est pas recommandé car il empêche le traitement local (les gouttes se déversent directement dans le conduit lacrymal en glissant sur la nictitante, même si on laisse un orifice) et il interdit la surveillance de l’évolution de l’ulcère.
La tarsorrhaphie (blépharorraphie) partielle (latérale) temporaire est facile à réaliser et n’a pas les défauts de la technique précédente ;
Le volet conjonctival est également envisageable (mais reste techniquement plus délicat à réaliser).
Traiter des ulcères atones
Traiter la cause et réaliser une kératotomie par scarification grillagée, appliquer des antibiotiques locaux deux à trois fois par jour (commencer quelques jours avant la kératotomie).
- les antibiotiques systémiques ne sont pas indiqués ;
- utiliser de l’atropine jusqu'à effet ;
- proscrire les corticoïdes ;
- prévenir les traumatismes auto-infligés (collerette systématique) ;
- contrôler entre J7 et J10.
La 1re phase du traitement d’un ulcère atone, qui fait aussi partie de la procédure diagnostique, consiste à débrider largement les bords de l’ulcère (sous anesthésie locale) avec un coton tige. Cette opération peut parfois suffire, à condition d’être bien faite.
2e phase : La kératotomie est indiquée en seconde intention.
- Après avoir débridé les marges de l’ulcère, elle consiste à pratiquer des stries parallèles sur la cornée avec une aiguille de 25G montée sur une petite seringue de 1 ml. Les stries doivent s’étendre de part et d’autre de l’ulcère en partant des marges saines. Elles doivent être assez nombreuses et profondes pour former une grille visible à la surface de la cornée.
- Une dose d’atropine en post-opératoire est nécessaire pour contrôler l’uvéite.
- Si l’œdème est important, on peut instiller du sérum NaCl hyperosmotique (5 p. cent), 3 à 4 fois par jour.
- La guérison est obtenue dans 80 p. cent des cas. Les échecs sont liés à des erreurs techniques (stries insuffisamment profondes). Si 10 à 14 jours après, la cicatrisation n’est pas obtenue, il convient de répéter l’intervention.
La kératotomie est contre-indiquée chez le chat en raison des risques de séquestre. De toute façon, il n’existe pas d’ulcères atones qui constituent la seule indication de la kératotomie.
L’anesthésie générale n’est pas indispensable pour les kératotomies, une anesthésie locale est suffisante.
En médecine humaine, les corticoïdes locaux sont parfois utilisés car la récupération de la transparence cornéenne est une priorité et les risques d’infection sont moindres que chez les carnivores domestiques.
Les lentilles de protection sont intéressantes maiselles tombent facilement (sauf si on les utilise sous un recouvrement conjonctival).



Notre commentaire

La synthèse de cette conférence est très intéressante. Quelques points de désaccord tout de même :
- Concernant le traitement des ulcères simples, et notamment sur le port de la collerette : nous la préconisons au contraire car même un propriétaire qui fait attention à son animal n’est pas à ses côtés 24 h sur 24.
De plus, un ulcère superficiel est très douloureux : plus l’ulcère est superficiel, plus il est douloureux (voir innervation du V sur la cornée ...)
- Concernant le traitement des ulcères surinfectés :
- Instiller des antibiotiques locaux une fois par heure est tout à fait impossible.
- Concernant l’antibiotique à choisir, il est très discutable à l’heure de l’antibiorésistance depréconiser un antibiotique local à large spectre bactéricide.
- Contrairement au conférencier qui indique d’éviter les pommades, nous les préconisons.

Olivier Jongh,
membre du comité de rédaction
Modifié le: mardi 27 août 2013, 18:12