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Ophtalmologie

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SENSIBILITÉ IN VITRO AUX NOUVEAUX MÉDICAMENTS ANTIFONGIQUES d’Aspergillus et de Fusarium associés à la kératite chez le cheval

Objectif de l'étude
Déterminer la sensibilité in vitro
à trois catégories d’antifongiques différents non testés (azolés, échinocandines, carboxamides) de quatre espèces fongiques prélevées sur la cornée de chevaux du Sud-Est des États-Unis atteints de kératite fongique par une valeur de concentration minimale inhibitrice (CMI).


Veterinary ophtalmology
2020;23:918–922
In vitro susceptibility of Aspergillus and Fusarium associated with equine keratitis to new antifungal drugs.
Roberts D, Cotter HVT, Cubeta M, Gilger BC.











Synthèse par Lauren Debetz, VetAgro Sup



Sujet


La kératite fongique est une inflammation oculaire grave résultant de la prolifération de champignons dans la cornée, en particulier les filamenteux tels qu’Aspergillus et Fusarium sp., qui sont saprophytes de la surface de l’œil et opportunistes en cas de kératite fongique. Cette affection est particulièrement prévalente dans l’Est des États-Unis et engendre fréquemment une cécité définitive du cheval.
Malgré un traitement relativement universel et consensuel, les réponses thérapeutiques demeurent mitigées et les études les plus récentes montrent que pour 60 p. cent des chevaux, la chirurgie a été nécessaire malgré l’administration d’antifongiques, dont 37 p. cent nécessitant une énucléation.
La diversité des antifongiques utilisés est modérée (natamycine, voriconazole, amphotéricine B, itraconazole et fluconazole) et non remise en cause depuis des années malgré le développement de résistances des champignons filamenteux en particulier au voriconazole, molécule très largement utilisée dans le traitements de ces kératites. Il apparaît donc nécessaire de sélectionner de nouveaux antifongiques efficaces.
Cette étude a pour objectif d’évaluer la sensibilité in vitro de quatre espèces de champignons isolés sur des prélèvements lors de kératite fongique à différentes molécules antifongiques ayant des modes d’action variés en comparant la CMI (Concentration Minimale Inhibitrice) avec celle du voriconazole (traitement standard actuellement).

Matériel et méthodes

Les antifongiques testés sont le luliconazole (imidazolés), le prothioconazole et le voriconazole (triazolés), le pydiflumétofène (carboxamides) et la capsofungine (échinocandines). Ils sont préparés avec du DMSO (diméthylsulfoxyde), à l’exception du pydiflumétofène (eau déminéralisée stérile) à différentes dilutions définies par la littérature.
Les champignons sont isolés à partir de prélèvements de cornée sur chevaux atteints de kératite fongique et identifiés (genre, espèce, lignée génétique) par une méthode PCR (Polymerase Chain Reaction) dans une étude précédente.
Les isolats ont été préalablement soumis à des tests in vitro de sensibilité à quelques molécules antifongiques couramment utilisées. Quatre espèces sont utilisées dans cette étude (Aspergillus flavus, Aspergillus fumigatus, Fusarium falciforme et Fusarium keratoplasticum), présentés sous la forme de suspensions de spores de conidies à une concentration de 1 000 000 de spores par mL pour Aspergillus et 2 000 000 spores par mL pour Fusarium, aliquotés, puis congelés et décongelés pour être à nouveau dilués (200 000 spores par mL pour Aspergillus et 40 000 spores par mL pour Fusarium). Ils ont ensuite été répartis dans une microplaque à raison de 50 uL soit un équivalent de respectivement 10 000 et 2000 conidies par puits. Dans chaque puits, 1mL de suspension médicamenteuse a été déposé ainsi que du dextrose. Des témoins non inoculés ont été utilisés aux coins des microplaques. Les plaques ont ensuite été incubées à 20°C et à l’obscurité pendant 3 j. Les CMI ont ensuite été définies manuellement au moyen d’un miroir grossissant permettant de déterminer la concentration la plus faible d’antifongique permettant une inhibition complète de la croissance.
Chaque test est répété 3 fois : la médiane des trois résultats est celui qui a été retenu.
L’analyse statistique a été réalisée par la méthode ANOVA avec un résultat significatif pour une p value < 0,05, traité ensuite par la séparation moyenne de Tukey.

Résultats

La sensibilité au voriconazole des quatre espèces fongiques était conforme aux précédentes études. Les deux champignons du genre Fusarium se sont révélés sensibles au prothioconazole, à la différence du genre Aspergillus pour lequel aucune inhibition de croissance mycélienne n’a été observée.
Pour le pydiflumétofène, seul Aspergillus flavus n’a pas montré de sensibilité.
La capsofungine n’a permis l’inhibition complète de la croissance d’aucun des deux Aspergillus, à la différence des Fusarium qui ont montré une inhibition complète de leur croissance au-delà d’une concentration de 8 mg/mL.
Enfin, les quatre espèces se sont révélées sensibles au luliconazole avec des CMI 25 fois plus faibles que pour les antifongiques standards.

Conclusion

Le luliconazole apparaît donc comme un antifongique auquel les quatre espèces de champignons étudiées ici (les plus fréquemment isolées lors de kératites fongiques) seraient sensibles. De plus, il semblerait que la concentration nécessaire de cette substance permettant une inhibition totale de la croissance mycélienne soit fortement inférieure (25) par rapport aux autres antifongiques couramment utilisés.
Le luliconazole est donc manifestement un antifongique prometteur dans le traitement de l’EFK et nécessite des études approfondies. Cet antifongique, comme le prothiconazole et le voriconazole, appartient à la famille des azolés qui inhibent la 4α-lanostérol déméthylase, ce qui déstabilise l’intégrité de la paroi cellulaire et entraîne également une accumulation de toxiques.
La caspofungine fait partie des échinocandines qui empêchent la synthèse d’un composant structurel de la paroi fongique. Le pydilflumétofène est un carboxamide, classe d’antifongique dont le mode d’action est l’inhibition de la respiration cellulaire et donc de la croissance fongique.
Dans cette étude, l’utilisation de capsofungine a entraîné pour Aspergillus un effet de fuite (réduction sans inhibition totale de la croissance à des concentrations supérieures à la CMI) ainsi qu’une croissance paradoxale (croissance reprise à une concentration d’antifongique supérieure à la CMI), ce qui est, d’après les auteurs, spécifique aux échinocandines qui entraînent une augmentation de la synthèse de chitine. Par ailleurs, ces résultats sont cohérents avec ceux d’études antérieures mettant en évidence une potentielle résistance du genre Fusarium aux échinocandines, car même si une inhibition complète de la croissance a été possible, les valeurs de CMI correspondantes sont très élevées. Pour Aspergillus flavus, sa croissance n’a été inhibée ni entièrement par la caspofungine, ni même partiellement par le prothioconazole ou le pydiflumétofène. Seul le luliconazole semble donc pouvoir inhiber la croissance de Aspergillus flavus parmi les quatre antifongiques testés.
L’efficacité du luliconazole a été démontrée sur des Aspergillus et des Fusarium d’origine humaine et environnementale à des CMI aussi faibles (respectivement 0,002 et 0,001 mg/mL) que dans cette étude. Il est également largement utilisé et très efficace comme traitement topique contre la dermatophytose chez l’homme.
Cette étude a donc permis de montrer une efficacité in vitro très élevée du luliconazole sur des champignons provenant d’EFK. Cette molécule semble donc avoir un haut potentiel d’amélioration du traitement des EFK et nécessite de plus amples études pour en faire une nouvelle thérapeutique de choix contre cette affection.
Modifié le: jeudi 4 février 2021, 13:52